Rosa Maria Chaves, Gillian Moreira — La dimension interculturelle dans les programmes d’enseignement du F.L.E en Espagne et au Portugal

La dimension interculturelle dans les programmes d’enseignement du F.L.E
en Espagne et au Portugal

Rosa Maria Chaves,
Gillian Moreira,
Université d’Aveiro

Résumé :
Actuellement, un enseignant de Français Langue Etrangère (F.L.E) qui aspire à répondre aux défis lancés par la démarche interculturelle se doit d’assumer une orientation vers la diversité inhérente à la langue française. Il se doit d’assumer le fait qu’apprendre le français amène à une rencontre interculturelle avec la diversité du monde francophone et du monde en général. Il s’agit donc d’appréhender la langue française dans toute la splendeur de la diversité culturelle qui compose le monde francophone, mais aussi de promouvoir la diversité linguistique et culturelle à une échelle mondiale. Aussi, actuellement, un enseignement du F.L.E qui ne contemplerait pas cette évidence nous apparaîtrait comme des plus dépassés.
A partir de l’analyse de programmes scolaires et de tableaux de contenus de manuels scolaires d’enseignement du F.L.E en vigueur au Portugal et en Espagne, nous tenterons de déterminer dans quelle mesure ces documents officiels font la promotion d’une rencontre interculturelle et visent réellement la promotion de la diversité linguistique et culturelle.

Mots-Clés : didactique des L.E et du F.L.E – Interculturel – Langues et diversité culturelle

A teacher of French as a Foreign Language today who wishes to respond to the challenges posed by the intercultural turn must adopt a stance inclusive of the diversity inherent in the French language. Indeed they must embrace the fact that learning French leads to an intercultural encounter with the diversity of French Speaking countries and of the world in general. It is thus a question of (re)conceptualising the French language in the wealth of cultural diversity which characterises French speaking countries and at the same time supporting language and cultural diversity on a world scale. It is also the case that a teacher of FFL today who does not contemplate this situation is likely to find themselves out-dated.
On the basis of an analysis of school syllabi and the tables of contents of FFL course books in use in Portugal and Spain we will attempt to determine to what extent these official documents promote intercultural encounter and actually incorporate the promotion of linguistic and cultural diversity.

Key-words : foreign language didactics – F.F.L. – Interculturality –Language and cultural diversity

1. Introduction

Un jour en marchant dans la montagne, j’ai vu une bête.
En m’approchant, je me suis aperçu que c’était un homme.
En arrivant près de lui, j’ai vu que c’était mon frère !
Proverbe Tibétain

Actuellement, un enseignant de F.L.E qui aspire à répondre aux défis lancés par la démarche interculturelle se doit d’assumer une orientation vers la diversité inhérente à la langue française. Il se doit d’assumer le fait qu’apprendre le français amène à une rencontre interculturelle avec la diversité du monde francophone et du monde en général. Apprendre le français, c’est surtout apprendre à connaître l’Autre, à accepter la pluralité des identités que cette langue peut véhiculer. Il s’agit d’appréhender la langue française dans toute la splendeur de la diversité culturelle qui compose le monde francophone, mais aussi de promouvoir la diversité linguistique et culturelle à une échelle mondiale. Il est donc primordial de préparer les apprenants de F.L.E à être efficace sur le plan interculturel en favorisant un dialogue interculturel avec Autrui qui s’avère être, pour reprendre les termes du Conseil de l’Europe “un échange de vues ouvert, respectueux et basé sur la compréhension mutuelle, entre des individus et des groupes qui ont des origines et un patrimoine ethnique, culturel, religieux et linguistique différents. Il s’exerce à tous les niveaux – au sein des sociétés, entre les sociétés européennes et le reste du monde” (Conseil de l’Europe, 2008 : 12).
A partir de l’analyse de programmes scolaires et des tableaux de contenus de deux manuels scolaires d’enseignement du F.L.E (relatifs aux adolescents de la tranche d’âge 14-15 ans) en vigueur au Portugal et en Espagne, nous tenterons de déterminer dans quelle mesure ces documents officiels visent réellement la promotion de la diversité linguistique et culturelle et de la rencontre interculturelle.

2. Former des locuteurs interculturels
Avec l’introduction de la dimension interculturelle dans l’enseignement des langues étrangères, on pose comme objectifs que l’apprenant de langues acquière une capacité de développer des relations de respect mutuel avec les locuteurs d’autres langues et qu’il ait pleine conscience de son identité et de celle de ses interlocuteurs, devenant ainsi un “locuteur interculturel” capable de vivre avec et dans la diversité. C’est dans ce sens que chaque locuteur/interlocuteur doit reconnaître chez l’Autre un statut de sujet, en acceptant une réciprocité de regards.
En réalité, la compétence interculturelle diffère d’une simple compétence culturelle dans le sens où elle s’avère être orientée vers l’Autre qui est considéré comme un interlocuteur possédant le même statut que Moi et avec lequel je communique, j’ai des relations, j’interagis sur un plan d’égalité. Par conséquent, la compétence interculturelle ne peut être considérée comme étant seulement une compétence pour communiquer avec un étranger. Elle est également une compétence qui permet la communication avec Autrui sur la base d’un respect mutuel. La dimension interculturelle de l’enseignement des langues étrangères doit aider l’apprenant dans sa capacité de décentration dans la mesure où se produit une orientation positive vers l’altérité. Par contre, il ne s’agit pas de nier son identité, car c’est par le rapport/confrontation à l’altérité qu’apparaît une définition de l’identité de chaque individu. Préparer l’enfant, le plus tôt possible, à l’ouverture à l’Altérité, à la relativisation de ses points de vue et à une ouverture de ses horizons (non exclusivement orientés vers des horizons déjà dominants) constitue un défi actuel de l’enseignement des langues étrangères.
Avant d’aller plus loin, nous nous devons de rappeler le fait que l’acquisition d’une compétence interculturelle est transversale au curriculum scolaire, elle ne se cantonne donc pas exclusivement au cours de langue étrangère. C’est ici cependant que l’enfant/adolescent est en contact, dès les premiers instants, avec les autres langues-cultures. Le cours de langue étrangère s’avère être un espace privilégié pour le développement d’attitudes et de savoirs en adéquation avec la compétence interculturelle.

3. La promotion de la diversité et de la rencontre interculturelle par l’enseignement du F.L.E dans les programmes officiels ibériques
Dans cette partie, nous nous attarderons plus particulièrement sur des documents-clés de l’enseignement des langues étrangères et notamment du F.L.E au Portugal et en Espagne (relatifs aux adolescents de la tranche d’âge 14-15 ans). Nous tenterons donc de vérifier dans quelle mesure ces documents officiels font la promotion d’une rencontre interculturelle et visent réellement la promotion de la diversité linguistico-culturelle. Les documents analysés sont les suivants :
– Ministério da Educação. 2002. Currículo Nacional do Ensino Básico. Competências Essenciais. Lisboa: ME.
– Ministério da Educação. 2000. Programa Francês. Plano de organização do Ensino-Aprendizagem. Ensino Básico 3.º Ciclo. Lisboa: Imprensa Nacional-Casa da Moeda.
– Ley Orgánica 2/2006 de Educación, de 3 de mayo, BOE n.º 106 del jueves 4 de mayo 2006.
– Real Decreto 1631/2006, de 29 de diciembre, por el que se establecen las enseñanzas mínimas correspondientes a la Educación Secundaria Obligatoria. BOE n.º 5 de viernes 5 de enero de 2007.

3.1. La réalité officielle portugaise
En 2002, le Ministère de l’Education portugais édita un document intitulé Competências Essenciais do Currículo Nacional do Ensino Básico dans lequel il définit un ensemble de compétences considérées comme essentielles et structurantes au niveau du développement du curriculum national et ce, pour chaque cycle de l’Enseignement Basique (6-15 ans). En ce qui concerne les compétences spécifiques des langues étrangères, ce document stipule notamment dans son introduction qu’“il est nécessaire d’envisager l’apprentissage des langues étrangères dans l’optique de la construction d’une compétence plurilingue et pluriculturelle dans les termes énoncés dans le CECR.” (p.39). L’objectif pour devenir compétent en langue est le même et ce, quelle que soit la langue enseignée : être compétent en langues signifie “s’approprier un ensemble de connaissances relatives à la langue, en tant que savoir organisateur et de la culture des peuples qui l’utilisent, en tant qu’expression de leur identité (…) cela signifie aussi, développer des caractéristiques individuelles en relation avec la personnalité de chacun, notamment des attitudes de réceptivité/interaction en relation avec d’autres manières d’être et de vivre.” (p. 40).
Dans ce profil d’apprenant compétent en langues, l’objectif visé est de faire en sorte que l’apprenant de langues acquière une compétence interculturelle qui lui permettra de comprendre, d’accepter et de vivre avec l’altérité et la diversité.

En ce qui concerne le niveau d’enseignement du 3ème Cycle de l’Enseignement Basique (3ème C.E.B) (12-15 ans), si l’on examine à nouveau le document Currículo Nacional do Ensino Básico – Competências Essenciais, on observe néanmoins que les compétences spécifiques ne font guère la promotion du plurilinguisme et du pluriculturalisme. En réalité, elles s’en tiennent à une espèce de «bi-linguisme et de bi-culturalisme». Il existe certes une décentration mais cette décentration de la seule langue-culture maternelle est exclusivement axée vers un vecteur unidimensionnel. En fait, la diversité inhérente notamment au monde francophone se trouve être totalement niée par les objectifs spécifiques de ce document officiel par la simple utilisation de l’article défini singulier « la ».
Voyons, à titre d’exemples, deux objectifs posés par ce document pour la fin du 3ème CEB:
– Etablir des relations – affinités/différences – entre la culture d’origine et la culture étrangère (LE I);
– Reconnaissance d’affinités/différences entre la culture d’origine et la culture étrangère (LE II).

En ce qui concerne le programme d’enseignement du 3ème C.E.B, il convient d’insister sur le fait qu’il s’agit d’un programme qui date de l’année 2000. Ce programme n’intègre donc évidemment pas les diverses orientations du Cadre Européen Commun de Référence et des Competências Essenciais do Currículo Nacional do Ensino Básico. Toutefois, rappelons qu’il est toujours en vigueur aujourd’hui…
D’emblée, l’introduction du programme de Français Langue Etrangère I du 3ème C.E.B, souligne la nécessité de „fournir une vision générique et globale de la vie française et de la France“ (p.7). La diversité francophone s’en trouve être totalement éludée. Il semblerait donc que la langue française se trouve être cantonnée à un monde de références unidimensionnel « franco-centré ».

Quant à la lecture des objectifs généraux du programme du 3ème C.E.B, nous n’ avons pu faire ressortir qu’un seul vecteur qui puisse néanmoins promouvoir des valeurs et des attitudes pour l’acceptation d’autres réalités orientées vers le monde francophone et non exclusivement franco-français: „Approfondir la connaissance de sa propre réalité socioculturelle à travers la confrontation avec des aspects de la culture et de la civilisation des peuples d’expression française“ (p.11-31). Par ailleurs, on invite l’apprenant à „interpréter les aspects de la culture et de la civilisation françaises dans une perspective interculturelle“ (p. 12). Il existe certes une intention d’amener l’apprenant de français à se décentrer (aptitude fondamentale à une rencontre avec l’altérité) mais cette décentration s’avère être, comme nous pouvons le constater dans cet objectif, exclusivement centrée sur une dimension « franco-française».

Quant aux contenus, là aussi la pauvreté de références à la diversité linguistique et culturelle est de mise. Les contenus s’avèrent être centrés sur la réalité franco-française comme nous pouvons le constater dans le tableau de contenus de Langue Etrangère I dont les différents domaines de références sont intitulés de la façon suivante : “Le jeune Français d’aujourd’hui”, “Les Français dans la France d’aujourd’hui”, “La France d’aujourd’hui et la France en Europe et dans le monde” (p.13). La Francophonie n’apparaît que dans ce troisième niveau de référence et il s’agit d’y aborder la présence française dans le monde notamment dans les pays francophones sous une perspective ethnocentrique “franco-centrée”.
Pour ce qui est des contenus de français en tant que Langue Etrangère II, force nous a été de constater que la situation ne s’améliorait guère, bien au contraire. Aucune référence à la diversité francophone ou à la diversité tout court n’apparaît dans ce tableau de contenus spécifique.

En ce qui concerne le niveau d’enseignement du 3ème C.E.B, les objectifs spécifiques et les contenus de ce degré d’enseignement pour l’enseignement du F.L.E s’avèrent être orientés vers la singularité franco-française et non pas vers la diversité. Par ailleurs, à aucun moment il n’est fait référence à des objectifs qui puissent promouvoir la mise en œuvre d’attitudes susceptibles de permettre la rencontre et le dialogue interculturel.

3.2. La réalité officielle espagnole
En ce qui concerne l’enseignement des langues étrangères, la nouvelle Ley Orgánica de Educación 2/2006 du 3 mai (LOE) ne se réfère pas exclusivement au F.L.E mais à toutes les langues étrangères. Avec la LOE, le système éducatif espagnol est entré dans une perspective de didactique des langues et des cultures (au pluriel) où les objectifs et les contenus généraux sont applicables à toute langue étrangère enseignée dans le système éducatif espagnol.
Un changement de paradigme est introduit dans cette nouvelle LOE et notamment dans le préambule où l’enseignement des langues étrangères apparaît comme étant un des moyens pour s’ouvrir au monde extérieur. L’apprentissage des langues étrangères est présenté comme une nécessité pour vivre dans la société européenne actuelle. La pluralité linguistique caractéristique de l’Espagne est renforcée et l’interculturalité apparaît très clairement comme un objectif de cette LOE par le biais de l’article 2 : “La formation au respect et à la reconnaissance de la pluralité linguistique et culturelle de l’Espagne et de l’interculturalité comme élément enrichissant de la société”.

Si l’on reprend la LOE et que l’on analyse les objectifs généraux de l’Enseignement Secondaire Obligatoire (ESO) (12-16 ans), l’article 23 points d), i) et j) (p.17169) stipule comme objectifs de l’enseignement secondaire [objectifs d’ailleurs repris par le Real Decreto 1631/2006 (p.679]):
d) Fortifier ses capacités affectives dans tous les domaines de la personnalité et dans ses relations avec les autres, ainsi que rejeter la violence, les préjugés de tout type, les comportements sexistes et résoudre pacifiquement les conflits.
i) Comprendre et s’exprimer dans une ou plusieurs langues étrangères de manière appropriée.
j) Connaître, apprécier et respecter les aspects fondamentaux de la culture et la propre histoire des autres, ainsi que le patrimoine artistique et culturel.
Aucune référence explicite n’est faite à ce niveau à la dimension interculturelle. Toutefois, nous avons relevé ces trois objectifs qui semblent s’encadrer dans une volonté de développer une dimension interculturelle dans l’enseignement secondaire. Ainsi, dans le point d), apparaît une volonté de développer des capacités affectives indispensables dans les relations avec les autres, au dialogue interculturel. Quant au point i), il renforce la nécessité de l’apprentissage des langues étrangères qui s’avère être, comme nous l’avons déjà souligné, une rencontre avec d’autres modes de vie, de penser et de vivre, une rencontre avec l’altérité. Néanmoins, on peut regretter l’utilisation de l’expression « de manière appropriée » qui est des plus floues et qui peut laisser place à diverses interprétations.

Dans l’analyse de la liste des objectifs présentés en matière de langue étrangère dans le document spécifique à l’ESO (le Real Decreto 1631/2006), nous avons relevé un objectif qui peut promouvoir une démarche interculturelle et la diversité linguistico-culturelle: “Valoriser la langue étrangère et les langues en général, comme moyen de communication et la compréhension/entente entre personnes de différentes origines et de cultures en évitant toute forme de discrimination et de stéréotypes linguistiques culturels”
Quant aux contenus, par la création d’un bloc de contenus intitulés «Aspects socioculturels et conscience interculturelle», la dimension interculturelle y apparaît explicitement. Officiellement, on voit surgir une volonté de faire en sorte que les apprenants connaissent “des coutumes, des formes de relations sociales, des traits et des particularités des pays où l’on parle la langue étrangère, en définitif, des formes de vie différentes des siennes. Cette connaissance va promouvoir la tolérance et l’acceptation, augmentera l’intérêt pour la connaissance de différentes réalités sociales et culturelles et facilitera la communication interculturelle” (p.742). Il est donc question de former des citoyens capables d’adopter des attitudes positives et réceptives à l’égard des autres langues et cultures tout en valorisant en même temps leur(s) propre(s) langue(s). Dans cette perspective, les langues étrangères sont considérées comme un moyen pour le développement de la compétence sociale et de la citoyenneté, notamment par la reconnaissance et l’acceptation des différences culturelles et comportementales. Elles favorisent le respect et le dialogue avec l’altérité.

En ce qui concerne les contenus spécifiques du Bloc 4 de LE I, nous avons pu faire ressortir quatre objectifs qui visent la connaissance de l’Autre et la mise en place de la valorisation de la rencontre et du dialogue interculturels:
– Valorisation de l’utilisation de la langue comme moyen pour communiquer avec des personnes de différentes provenances
– Identification des traits communs et des différences les plus significatives qui existent entre les us et coutumes, les attitudes et les valeurs de la société, dont on étudie la langue, et la culture maternelle, ainsi que le respect à l’égard des autres
– Connaissance des éléments culturels les plus significatifs des pays où l’on étudie la langue étrangère
– Valorisation de l’enrichissement personnel qui suppose la relation avec des personnes appartenant à d’autres cultures (p.747)

Quant aux contenus de LE II, on retrouve les mêmes principes, résumés dans cette phrase : “Les élèves doivent considérer la deuxième langue étrangère, qu’ils utilisent comme instrument de communication en classe ou avec des personnes d’autres cultures, comme une valorisation de leur enrichissement personnel, que suppose la relation avec des personnes originaires d’autres cultures, et comme une marque de respect envers les locuteurs de cette langue en dépassant les stéréotypes qu’ils ont à l’égard de ces derniers” (p.766).

Officiellement, l’enseignement des langues étrangères en Espagne se place donc dans une perspective d’ouverture à l’Autre et de promotion du dialogue interculturel. Les langues étrangères s’avèrent être selon ce décret “un élément-clé dans la construction de l’identité européenne: une identité plurilingue et multiculturelle” (p.764).

4. Les manuels d’enseignement du F.L.E
Dans le cadre de cette brève analyse, nous avons restreint notre corpus aux tableaux de contenus de deux manuels scolaires de LE II communément utilisés pour la tranche d’âge 14-15 ans en Espagne et au Portugal:
– Costa, S & Pacheco, L. 2002. Club des mots 3 – 9º ano. Porto Editora: Porto.
– Bourdais, D. et al. 2001. Copains 3. Oxford Educación: Ariz-Basauri.

De prime abord, si l’on observe les tableaux de contenus du manuel portugais, il convient de souligner le fait que les contenus grammaticaux semblent avoir été la priorité des auteurs. En effet, seule la grammaire apparaît mise en relief dans ce cadre. Quant à de possibles contenus culturels, ils ne sont explicitement présents que dans la section Mapas (cartes). Et d’emblée, on peut souligner le fait que la France semble être l’image-référence prédominante de ce manuel. Ainsi, sur cinq cartes fournies, une seule carte représente le monde francophone. Ce plan de contenus est donc énonciateur d’un enseignement de la langue française plutôt fortement orienté vers la France et non vers la diversité de la Francophonie et du monde.
Nonobstant cette tendance, nous avons tout de même observé, dans chaque unité, la présence d’une petite section intitulée Savoir… Savoir-être dans laquelle l’objectif avoué des auteurs est d’approfondir les connaissances sur la France, les Français et le monde en général, mais également de faire en sorte que les apprenants connaissent d’autres expériences de vie et qu’ils puissent, pour reprendre les termes des auteurs, “grandir en tant qu’individu qui vit et interagit avec les Autres”. A ce stade des intentions des auteurs, préparer l’apprenant à la rencontre avec l’altérité et au dialogue interculturel apparaît donc dans une certaine mesure. On ne s’en tient pas à aux seuls savoirs culturels et il semble donc qu’il y ait une volonté de préparer les apprenants à entrer en relation avec des personnes appartenant à d’autres cultures.

Quant à l’analyse du tableau des contenus du manuel espagnol, (contrairement au manuel portugais) elle fait ressortir une certaine préoccupation dans l’introduction de thèmes culturels. Les auteurs ont d’ailleurs créé une section à part entière intitulée Civilisation ainsi qu’une rubrique Magazine qui aborde des thèmes culturels.
Par la simple lecture de ces contenus, il semblerait que ce manuel ne soit pas exclusivement axé sur la France, mais il n’est pourtant guère fait référence au monde de la Francophonie. On pourrait donc croire, en se tenant à ce tableau de contenus, qu’il s’agit plutôt de thèmes relatifs à la vie d’adolescents de 14-15 ans qui vivent dans le monde de la globalisation. La seule référence explicite à la France est faite dans la rubrique Magazine de l’Unité 1 « Teste tes connaissances : voyage en France ». Mais, en observant de plus près ces contenus, notamment par la présentation des personnages des six unités (p.6-7), force est de constater que ce manuel s’avère être exclusivement orienté vers l’altérité franco-française et en particulier sur les régions françaises hexagonales illustrées par les diverses unités du manuel. La seule référence culturelle non franco-hexagonale apparaît dans la rubrique Magazine, par le biais des «Petits déj’ européens».
Les auteurs s’en tiennent, à ce niveau, à l’acquisition de savoirs qui, certes sont indispensables à une compétence interculturelle et qui permettent de mieux connaître l’altérité française, mais qui s’avèrent être insuffisants pour permettre aux apprenants d’entrer en relation, de communiquer et d’interagir avec l’altérité et la diversité. En fait, il s’agit de fomenter une prise de conscience interculturelle qui passe par différents types de savoirs dits « interculturels » (savoirs, savoir-faire, savoir-être et savoir-apprendre). Pour reprendre les termes de Michael Byram (2002), la compétence interculturelle n’est pas une compétence qui permet de dialoguer avec un étranger (avec une personne de nationalité, de culture différentes), mais avec autrui (une autre personne). L’objectif est donc d’apprendre la rencontre et non pas d’apprendre la culture de l’autre. Il s’agit bien d’éveiller et de cultiver une conscience interculturelle dans le sens où l’apprenant doit être sensibilisé à la diversité culturelle certes, mais doit être amené à rencontrer l’altérité.

5. Conclusion

„Le cours de langue constitue un moment privilégié
qui permet à l’apprenant de découvrir
d’autres perceptions et classifications de la réalité,
d’autres valeurs, d’autres modes de vie… “
Myriam Denis

Dans le cadre de cet article, nous avons pu constater que la dimension interculturelle était appréhendée à des degrés divers dans les programmes d’enseignement du F.L.E portugais et espagnols pour la tranche d’âge des 14-15 ans. L’analyse de ces programmes nous a montré qu’il existait un décalage abyssal entre ces deux réalités ibériques. L’Espagne nous apparaît, pour ce niveau d’enseignement, plus engagée dans la mise en place d’une dimension interculturelle dans l’enseignement du F.L.E et des langues en général.
En fait, ce décalage est essentiellement dû à une raison d’ordre temporel. En effet, la loi régissant le système éducatif espagnol (datant de 2006) est bien plus récente que la Loi de Base du système éducatif portugais qui date de 1986. Bien que quelques ajustements ponctuels aient été réalisés au Portugal (notamment en 1991 et 2000 par l’élaboration de nouveaux programmes pour l’Enseignement Basique et par l’introduction du document régulateur du Curriculum National en 2002), la nécessité de procéder à une actualisation générale des programmes d’enseignement en matière de langues étrangères est actuellement largement reconnue au Portugal.
Par ailleurs, l’organisation politico-administrative des deux pays pourrait expliquer cette différence de traitement de la diversité linguistico-culturelle à l’école. En effet, le Portugal est un pays profondément centralisé ayant uniquement deux langues officielles, le Portugais et le Mirandais (le Mirandais n’a été officialisé qu’en 1999) ; tandis que l’Espagne (divisée en dix-sept communautés autonomes) possède cinq langues co-officielles : le Castillan, le Basque Euskera, le Catalan, le Galicien et l’Aranais. Aussi, depuis 1978, cette décentralisation et la déconstruction de politiques linguistiques centralisées consacrent donc constitutionnellement la diversité linguistico-culturelle en Espagne. Et cela a pu éventuellement mener à une prise de conscience de la valeur de la richesse inhérente à la diversité linguistico-culturelle.
Quant à la brève analyse des tableaux de contenus des manuels scolaires, nous avons pu observer que les contenus culturels présentés étaient fortement franco-centrés, ne promouvant donc pas la diversité linguistique et culturelle et la rencontre avec l’altérité non exclusivement française. Par ailleurs, notamment pour le cas du Portugal, il est à noter qu’en dépit d’un programme officiel où la dimension interculturelle était totalement oubliée, le manuel tentait, dans une certaine mesure, de pallier cette lacune.
Actuellement, un enseignement du F.L.E qui ne contemplerait pas cette dimension interculturelle nous apparaîtrait anachronique et ne contribuerait guère à une promotion du dialogue interculturel. Il est donc fondamental de sensibiliser, en amont, les concepteurs des programmes éducatifs et des manuels scolaires à la promotion de ce dialogue interculturel, car le cours de langue étrangère s’avère être un espace privilégié pour le développement d’attitudes et de savoirs en adéquation avec la compétence interculturelle.

Notes

La traduction des citations issues des textes officiels portugais et espagnols a été réalisée par nos soins.

Bibliographie
– Byram, M. et al. 2002. Développer la dimension interculturelle de l’enseignement des langues. Une introduction pratique à l’usage des enseignants. Strasbourg : Editions du Conseil de l’Europe.
– Moreira, G. & Chaves, R-M. 2008. « Educar para a diversidade: o contributo do ensino de línguas estrangeiras». In Livro de actas da Conferência Ibérica Educação para a Cidadania. Lisboa: Centro de Investigação em Educação – Universidade de Lisboa, p.179-188.
– Conseil de l’Europe. 2008. Livre blanc sur le dialogue interculturel. Vivre ensemble dans l’égale dignité. Strasbourg : Editions du Conseil de l’Europe.
– De Carlo, M. 1998. L’interculturel. Paris : Clé International.
– Denis M. 2000. « Développer des aptitudes interculturelles en classe de langue ». In Dialogues et cultures n°44. De la Diversité. Paris : FIPF, p. 62.
– Ministerio de Educación y Ciencia. 2005. Una educación de calidad para todos y entre todos. Madrid: Marín Álvarez Hinos SA.
– Sercu, L. (2005). Foreign Language Teachers and Intercultural Competence. Clevedon. Multilingual Matters.

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