Julia Putsche — La langue française, les Français, la France … Qu’en pensent les élèves allemands à l’école primaire ?

La langue française, les Français, la France …
Qu’en pensent les élèves allemands à l’école primaire ?

Julia Putsche
UHA Mulhouse

Résumé : Une étude menée dans une école primaire allemande sur l’enseignement bilingue allemand – français dans la région frontalière avec l’Alsace, a permis de déceler les représentations de très jeunes élèves âgés de six et sept ans vis-à-vis du pays voisin et de les confronter à une première sensibilisation à l’interculturel.

mots clés : Bilinguisme précoce, relation franco-allemande, école primaire, région transfrontalière, représentations

Abstract: A study in a german primary school in the french-german boarder region shows how very young pupils think about the culture and the language of the neighbour-country. The pupils are 6 and 7 years old and are in a bilingual class. The study allows a first step in direction to intercultural awareness for very young learners.

Key words: Bilingual education in primary school, German French relationship, border region, language awareness

Quand on vit dans une région frontalière, l’Etranger, l’habitant de l’autre côté de la frontière, est souvent un peu moins « abstrait » pour les personnes vivant dans cette situation de proximité géographique que pour d’autres vivant à l’intérieur du pays. Or, cette « présence concrète » n’est pas forcement plus positive ou plus accueillante que celle d’une personne résidant loin du pays et de la population en question. Cet article montrera, dans un premier temps, la situation géographique, historique, politico-éducative et linguistique du cadre de notre étude, puis, dans un second temps, il traitera du groupe cible de notre enquête, un groupe d’enfants scolarisés en classe paritaire à l’école primaire allemande (la moitié de l’enseignement est dispensé majoritairement en langue française) et leurs enseignants. Afin d’expliquer les différentes situations d’interculturalité, le lien sera fait entre le cadre familial des enfants et l’opinion de ces derniers pour expliquer certaines attitudes. Finalement, nous ferons le point sur les représentations des enfants vivant juste à côté de la frontière avec la France. Y a-t-il un véritable sentiment de proximité ou l’idée de l’étranger et de l’Autre prédomine-t-elle ? L’enseignement paritaire peut-il amener à une meilleure compréhension interculturelle dès le plus jeune âge?

La situation géographique

La ville de Kehl se situe directement à la frontière entre la France et l’Allemagne. Sa grande voisine est Strasbourg, une des plus grandes villes dans la région du Rhin supérieur. La proximité avec la France est omniprésente dans la ville de Kehl – commerces, administrations et d’autres institutions dans la ville, présentent leurs offres ou services en allemand et en français. Chaque employé de magasin, policier, marchand de légumes sur le marché, ou autre personne travaillant à Kehl, parle un peu français. En ce qui concerne l’apprentissage des langues, et en particulier l’apprentissage précoce d’une langue étrangère, Kehl fait partie des villes qui proposent le français comme première langue étrangère. Selon le principe de territorialité, dans la région du Rhin supérieur, le français est la première langue étrangère obligatoire. Cela s’applique également à l’apprentissage précoce d’une langue étrangère.
En effet, depuis l’année scolaire 2003/2004, chaque enfant scolarisé au Bade-Wurtemberg apprend une langue étrangère dès l’âge de six ou sept ans. La plupart du temps, il s’agit d’un enseignement dit « extensif », c’est-à-dire, deux à six heures d’enseignement hebdomadaire de la langue étrangère. L’école primaire « Falkenhausen » à Kehl est pourtant une école avec un véritable profil français.
Nous trouvons dans cette école différentes filières dont des classes dites « paritaires » allemand – français. Le concept de cet enseignement s’inspire des sites d’immersion linguistique paritaire. En Alsace, les sites « paritaires » existent depuis une quinzaine d’années dans l’enseignement primaire. Dans ce système, la moitié de l’enseignement est dispensée en allemand (en L 2), l’autre moitié en français.
Quelques élèves scolarisés dans une de ces classes paritaires à Kehl, fréquentaient auparavant des jardins d’enfants à « profil français » . Ces jardins d’enfants ont été instaurés dans le but de faire acquérir aux enfants quelques bases linguistiques de la langue cible avant la scolarité obligatoire. En classe paritaire à l’école primaire, certaines matières sont enseignées en français, d’autres en allemand (Geiger-Jaillet, 2006 : 96-136). L’école dont il est question n’a pas tout à fait réalisé une répartition de 13h/13h d’heures d’enseignement, les élèves ayant 15 heures d’enseignement en allemand et 11 heures en français. De plus, il s’agit de tranches horaires de 45 minutes.

Le groupe cible

Demander à des apprenants leur avis sur les langues étrangères, leur apprentissage et l’image qu’ils ont des locuteurs de ces langues, n’est pas nouveau. En France, les sociolinguistes travaillent à partir des représentations, des attitudes et des stéréotypes. En Allemagne, les recherches sur « l’image » des langues s’inscrivent dans le champ de recherche des Subjektive Theorien (Groeben, Schlee et Scheele, 1988 & Kallenbach, 1996) et des Sprachattitüden. Nous ne démontrerons pas les similarités et les différences des courants en France et en Allemagne. Il s’agit ici de rappeler la différence des termes et leur emploi dans les recherches menées dans les deux pays. Récemment, une étude à échelle européenne a étudié les attitudes et les représentations linguistiques dans différents pays européens auprès d’apprenants de 11 et 15 ans (Meißner, 2008). Notre étude se différencie ici dans le fait que nous avons travaillé avec de très jeunes apprenants scolarisés en septembre 2008. Pour connaître un peu mieux le cadre familial et linguistique des enfants concernés, nous avons demandé aux parents de remplir un questionnaire socioprofessionnel qui nous renseigne sur la situation linguistique de l’enfant et de sa famille : l’origine des parents, leurs formations scolaires et professionnelles, ainsi que leur opinion sur la France, la langue française et l’enseignement paritaire à l’école primaire. 29 familles ont rendu le questionnaire rempli et donné leur accord pour que leur enfant participe à l’étude. Parmi les 29 enfants, il y a 17 garçons et 14 filles. 24 enfants ont la nationalité allemande. 12 sont issus de familles « germano-allemandes » et 12 de familles mixtes ; cinq enfants ont d’autres nationalités. 18 des enfants participant à l’étude parlent plus d’une langue à la maison. La plupart du temps, ils utilisent deux langues dans leur quotidien (l’allemand et une autre langue, dont l’une est toujours la langue maternelle d’un des parents ou des parents). Dans deux cas, les enfants sont confrontés à trois langues parlées dans leur entourage familial. Les langues autres que l’allemand, qui sont parlées dans les familles, sont les suivantes : le turc (pour la majeure partie des cas), l’arménien, le perse, un dialecte somalien, l’afghan, le serbo-croate, le français, l’arabe, le russe et le kurde.

La biographie des parents est également importante pour pouvoir analyser la situation interculturelle dans laquelle évolue un enfant. Nous constatons que 14 pères et 18 mères sont nés en Allemagne. Pour 12 des 14 pères nés en Allemagne, l’allemand est également la langue maternelle. Des 18 mères nées en Allemagne, seulement 10 déclarent être de langue maternelle allemande. En tout, 19 mères et 17 pères déclarent avoir une autre langue maternelle que la langue allemande. Au sein des familles, seulement 13 couples de parents ne communiquent qu’en allemand entre eux – les autres parents parlent soit allemand et une autre langue (8), soit seulement une autre langue.
D’après un simple décompte, nous constatons que beaucoup d’enfants contribuant à cette étude vivent en milieu plurilingue et probablement aussi pluriculturel. Pour ces enfants, l’aspect interculturel ne consiste pas seulement à suivre des cours en allemand et en français et, par conséquent, à être confronté à la langue française, mais repose aussi sur le fait d’être scolarisé en Allemagne sans vivre avec des parents « germano-allemands », de parler souvent la langue d’origine (désormais LO) avec au moins un des deux parents, de parler l’allemand avec les frères et sœurs, la LO avec les amis qui la partagent, l’allemand avec les amis d’origine allemande ou autre, et parfois une autre variation de la LO avec les grands-parents.

Les représentations des enfants

Bei Grundschulkindern ist die Einstellung gegenüber Fremdem und Ausländern noch wenig verfestigt und klar, sondern eher von individuellen Erlebnissen geprägt. (Weier 2007: 3)
Lors des interviews, nous avons constaté cette situation évoquée par Weier. Une grande partie des enfants a déjà vécu des expériences avec la culture au-delà de la frontière et utilisent cette expérience pour expliquer ce que c’est, d’après eux, d’être Français. Ces expériences sont positives ou négatives et donnent souvent l’impression d’avoir été consciemment ou inconsciemment influencées par les parents.

En leur demandant ce à quoi ils pensent spontanément quand on leur dit « la France » (Was ist spontan in deinem Kopf, wenn Du an das Land Frankreich denkst ?, question 15 de l’entretien), on constate qu’il y a des réponses très variées :

? Eigentlich, wenn ich da umzieh‘, dass ich keine Freunde krieg un‘ so
? Also die Sprache find‘ ich lustig
? Dann denk‘ ich an Straßenbahnen, an Bussen *, an französische Sprache
? Dass es gut ist in Frankreich
? Dass wir da mal auf‘m Spielplatz war‘n
? Dass ich auch so‘n bisschen Französisch sprechen muss
? Hause*. Manche sind so und manche sind so. Manche haben eine Spitze am Haus und manche nicht
? Da sind viele Menschen und da gibt es so ein Theaterding
? Ich denke, das Land is‘ schön
? Das Meer

En ce qui concerne le pays, les représentations des enfants sont surtout influencées par le vécu. 28 des 29 familles affirment avoir déjà été en France, à Strasbourg surtout, mais aussi dans d’autres régions pour y passer les vacances. Quand on prend en considération les représentations des enfants sur le « pays France », il est évident qu’ils ont des idées assez concrètes parce qu’ils associent beaucoup de traits caractéristiques de la ville voisine avec ce qui est « la France ». Ils remarquent des différences dans l’architecture, la taille de la ville, qui est beaucoup plus importante que celle de Kehl, la présence de bus et de tramways. A six ou sept ans, ils sont capables de répondre concrètement à la question en prenant comme référence la capitale de l’Alsace. Souvent, quand on interroge des (jeunes) apprenants sur leurs représentations sur une langue ou une nationalité, ils sont d’abord en mesure de nommer des avis stéréotypés sur une autre culture.

Bei der Auseinandersetzung mit einer anderen Kultur wir das Unerwartete, das Typische der fremden Kultur mit den Gegebenheiten der eigenen Kultur verglichen, was eine generelle kognitive Operation zur Erkenntnisgewinnung darstellt. In kulturvergleichenden Aussagen fallen dabei auch bei Kindern sprachlich vor allem der Gebrauch des Komparativs („Italienische Züge sind schmutziger als deutsche“), der Negation („In Deutschland gibt es keine Schuluniformen“) oder der Beschreibung und Generalisierung von Einzelementen („Die Italiener haben alle schwarze Haare“) auf .
(Weier 2007: 4)

Ceci n’est pas le cas chez les élèves de Kehl. Comme la situation frontalière leur permet d’avoir un contact réel avec l’autre pays (et si les parents se servent de ce contact réel pour familiariser leurs enfants avec la proximité française), leurs représentations sont influencées par des éléments concrets (bus, trams, les modes de construction, etc.). En leur posant la question sur leurs représentations vis-à-vis des Français (« Was ist in deinem Kopf, wenn Du an die Menschen aus Frankreich denkst, also an die Franzosen ? » ), cette concrétisation n’est plus valable :

? dass die genauso leben wie wir
? Nett, ähm, dann weiß ich nichts mehr
? Sie sprechen Französisch und fahren mit dem Auto ein bisschen schneller
? Dass die andere Sachen machen und ‘ne Sprache sprechen, die ich auch nicht mehr so gut kann
? Dass ich auch Französisch kann
? Die sin‘ irgendwie so anders als Deutsche, also ich bin nicht Deutscher, Armenier, die verstehen Deutsche nich‘ so gut
? Dass die ‘ne andere Sprache reden, dass die anders schreiben
? Ich hasse das.
I: Wie bitte?
Ich hasse das
I: Du hasst es? Die Franzosen?
Ja
I: Warum ?
Ich mag die, aber die sind jeden Tag hier, ich glaube, die wollen hier Urlaub machen, die kommen hierher
? Dass sie reden und ich nix verstehe
? Da denk‘ ich, dass die Französen* die Hasen klauen, weil in der Zeitung steht das. Aber nur Hofhasen.
? Toll!
? Die braune Haut
? Da denk‘ ich an meine Freundin
? Zum Beispiel, wenn ich mit meiner Mama nach Frankreich gehe und da ist ein Zebrastreifen und kommt‘n Franzosenauto und die fahr‘n einfach durch

Nous découvrons, en posant cette deuxième question, divers types de réponses. En reprenant les classifications de Weier (entre autres), nous constatons l’utilisation de la forme comparative («die fahren mit dem Auto ein bisschen schneller »), de l’opposition (« dass die andere Sachen machen », « die sin’ irgendwie so anders als Deutsche », « dass die ‘ne andere Sprache reden, dass sie anders schreiben ») et de la stéréotypisation, parfois négative, (« und fahren mit dem Auto ein bisschen schneller », « zum Beispiel, wenn ich mit meiner Mama nach Frankreich gehe und da ist ein Zebrastreifen und kom die Französen die Hasen klauen, weil in der Zeitung steht das. Aber nur Hofhasen», «Ich mag die, aber die sind jeden Tag hier, ich glaub’ die wollen hier Urlaub machen, die kommen hierher»).
A côté de ces réponses moins positives, nous en trouvons d’autres qui font déjà preuve d’une « conscience interculturelle » chez les très jeunes. « Da denk ich an meine Freundin », « Toll ! », « Dass die genauso leben wie wir » et autres remarques montrent qu’il y a un véritable contact avec la culture du voisin et un rapprochement. Ceci n’est pas seulement dû à l’enseignement scolaire, mais aussi et surtout au cadre familial.

En tant que processus, la représentation s’intègre dans une dynamique articulée, d’une part sur la structure psychologique de l’individu et d’autre part, sur la structure sociale. De ce fait, une représentation n’est jamais statique, elle évolue avec le sujet, le temps la société, l’histoire… et est l’objet de modifications périodiques.
(Abdallah-Pretceille 2004 : 30)

Il est donc évident que la position des parents et les propos qu’ils tiennent concernant la France devant leurs enfants influencent ces derniers. Mis à part l’exemple de la conduite plus rapide en voiture, nous constatons que les autres propos négatifs ne correspondent pas à des stéréotypes « courants » que l’on trouve sur les Français en Allemagne. Il s’agit plutôt de pseudo-vérités (le vol des lapins, peut-être arrivé une fois et pris pour une réalité) ou d’hostilité directe envers la forte présence française quotidienne dans la petite ville de Kehl. Une proximité géographique peut alors éventuellement éviter l’apparition de stéréotypes et de clichés, mais elle n’est pas une garantie pour une attitude plus positive envers la culture voisine. La généralisation dans les jugements pose ici le plus grand problème : si l’enfant est éventuellement confronté à un propos très négatif sur l’autre culture, il est probable qu’il intériorise ce fait comme une vérité (en prenant encore une fois l’exemple du vol des lapins). Pour évaluer l’importance des remarques faites par les élèves, il est important de prendre en compte leurs avis à la fin de l’année scolaire. Les résultats de notre étude ont été obtenus en début d’année scolaire. Début juillet 2009, une deuxième série d’interviews aura lieu pour savoir si les représentations des enfants ont évolué et, si oui, dans quel sens. En même temps, un test de compétence langagière en français et en allemand sera soumis à chaque élève. En ce qui concerne l’évaluation du résultat, une analyse croisée avec l’ensemble des données sera effectuée. Il est important de mettre en relation les positionnements des parents et ceux des élèves pour vérifier certains propos et valider les hypothèses de la recherche. Aden (2006 : 68) propose trois variables grâce auxquelles il est possible de mesurer la compétence interculturelle : l’insécurité, le conflit et l’identité. Ces trois variables permettraient, pour notre cas, d’élaborer une grille de lecture simplifiant la mesure des compétences interculturelles en début d’année. L’insécurité regrouperait les commentaires exprimant des craintes, des hésitations et des expressions dues à une méconnaissance. En tant que variable, le conflit semble assez clair, il s’agit surtout des remarques hostiles et, enfin, l’identité, qui, selon le schéma d’Aden, est en application directe à notre situation, se rapporte à la joie, la curiosité, etc.
Cette étude devra aussi prendre en considération la réaction des enseignants face aux propos de leurs élèves. L’influence des enseignants est considérable ; le rôle de l’enseignant est de changer les attitudes hostiles. Un apprentissage interculturel en classe est tout à fait réalisable à cet âge. Selon Holzbrecher (2004), l’apprentissage interculturel en cours se définit par quatre éléments : la reconnaissance et la compréhension de l’autre, l’intériorisation du principe « tous différents – tous pareils » : les constats de la différence, sa catégorisation, la reconnaissance de différentes cultures et la responsabilité pour la société. En situation scolaire, il s’agirait donc de sensibiliser les apprenants au degré relatif de la notion de culture, de transmettre les avantages de la diversité culturelle et du plurilinguisme, de même que du rapprochement entre les cultures (Holzbrecher 2004). Il est essentiel que les enseignants prennent conscience de la situation plurilingue et pluriculturelle de leurs classes et qu’ils commencent à construire une compréhension interculturelle au sein du groupe d’élèves.

Le rôle de l’origine culturelle des enfants

Chez les enfants issus de familles mixtes ou d’origine étrangère, un autre élément entre en jeu concernant l’enseignement paritaire et son interculturalité. Nous découvrons plusieurs phénomènes attitudinales qui se reflètent dans certains propos lors des entretiens. Les élèves se retrouvent dans une situation qui est socialement dévalorisante, ils ne se voient pas comme « des Allemands », même s’ils ont la nationalité allemande. En posant la question sur les différences entre la France et l’Allemagne (« Findest du, dass in Frankreich manche Sachen anders sind als hier in Deutschland ? » ) les enfants de parents non – germanophones développent différentes attitudes pour se positionner. Certains répondent en utilisant la forme « nous » (« wir ») pour symboliser leur appartenance à la partie « Deutschland ». Ce phénomène de conformisme est le plus fréquent chez les membres de groupes minoritaires (Lorcerie 2002 : 175). Un autre positionnement est le soulignement de sa différence, et corollairement, la distanciation de la culture allemande et française : « Die sin‘ irgendwie so anders als Deutsche, also ich bin nicht Deutscher, Armenier, die verstehen Deutsche nich‘ so gut. » Il s’agit ici d’un phénomène de distinction, l’élève fait très précisément la différence entre lui (Arménien), les Allemands et les Français, et explique que ce sont les Français qui ne comprennent pas bien les Allemands. On peut interpréter cette attitude de deux manières : soit, pour l’élève, l’appartenance à son groupe minoritaire est très important, et c’est pour cette raison qu’il souligne sa nationalité lors de l’interview, soit il veut montrer, que lui, en tant qu’Arménien, comprend les Allemands, mais que les Français, par contre, ont vraiment des difficultés. Il y a beaucoup d’autres remarques que nous ne pourrons pas discuter ici, mais il est évident qu’il faut faire la différence entre les enfants germanophones et les autres enfants pour certains points de l’analyse.
Une grande partie des enfants « allemands » est scolarisée dans une classe paritaire parce que les parents la considèrent comme une classe d’élite. Souvent, l’enfant suit des cours de français précoce en dehors de l’enseignement scolaire, est inscrit à un cours de musique à Strasbourg, écoute des CDs francophones etc. Les parents souhaitent que leur enfant apprenne le français. Beaucoup de ces parents sont très francophiles, ont des amis français et permettent ainsi à leurs enfants d’avoir un contact naturel avec l’autre nationalité. Les enfants disent vivre cela différemment lors des interviews. Beaucoup d’entre eux ont une image très positive de la France et sont capables de nommer des Français qu’ils connaissent dans leur entourage relationnel. Les élèves observent également très bien le comportement de leurs enseignants et constatent, par exemple, que l’écriture des Français est différente (« dass die ‘ne andere Sprache reden und dass die anders schreiben »). Ce qui nous a d’abord étonné, mais qui s’explique assez clairement grâce au questionnaire des parents, dans lequel se trouvaient des propos tels que « dass ich auch so’n bisschen Französisch sprechen muss » . Il s’agissait ici d’un enfant avec de nombreuses activités extra-scolaires qui se déroulaient en langue française. Bizarrement, cet enfant n’était pas capable de dire ce qui pour lui était français et prétendait ne pas avoir été très souvent à Strasbourg. Or, nous savons que cet enfant va au moins une fois par semaine dans la capitale alsacienne pour ses cours de musique. Nous pouvons alors nous demander si l’ambition des parents n’a pas un peu étouffée l’attitude positive de l’enfant envers le français.

L’aspect interculturel en classe paritaire

L’enseignement en langue française est très apprécié par les élèves, même si certains disent ne pas toujours tout comprendre, ce qui est tout à fait normal. Cet enseignement est un véritable atout pour les élèves de pouvoir, d’une part, apprendre une langue étrangère de manière intensive et, d’autre part, d’avoir l’opportunité d’entrer en contact de façon naturelle avec les habitants de l’autre côté du Rhin. Néanmoins, il serait souhaitable de renforcer l’aspect interculturel de façon explicite dans le cadre de l’enseignement. Au regard de certains propos recueillis lors de la première série d’entretiens, l’intercompréhension envers la culture du voisin n’est pas encore très présente. Cela est certainement dû en partie à l’âge des enfants, mais ce très jeune âge permet d’autant mieux de commencer tôt un enseignement reposant sur les aspects interculturels liés à la situation de proximité géographique. Nous constatons que les élèves expriment très peu d’opinions stéréotypées. Ce phénomène positif s’explique encore une fois par la proximité géographique. Les enfants sont pour la grande majorité déjà allés à Strasbourg. La France et les Français ne sont pas seulement une idée abstraite dans leurs têtes, mais quelque chose de très concret. Il serait intéressant de faire la même étude à l’intérieur du pays. Je suis convaincue que les propos des enfants seraient très différents et beaucoup moins concrets que ceux des enfants de Kehl. Concernant les enfants issus de l’immigration, nous relevons plusieurs phénomènes : premièrement, ces derniers se « plaignent » moins lors des interviews sur le fait de ne pas toujours tout comprendre ce qui est dit en langue française. Ils sont en quelque sorte plus « tolérants » sur ce point, connaissant la situation du fait qu’ils ne comprennent pas toujours ce qui est dit en classe. Ainsi, ils sont tous très ouverts à l’apprentissage du français et acceptent cette situation sans s’opposer à l’enseignement en deux langues ou de faire un blocage envers cet enseignement. Les parents de ces enfants, par contre, expriment souvent le souhait que l’enfant devrait d’abord apprendre correctement l’allemand avant d’apprendre le français. Ils expliquent cette position par leur propre vécu et quelques-uns avouent qu’ils n’écrivent toujours pas l’allemand correctement – une raison de plus de ne pas vouloir faire subir la même chose à leur enfant.

Pour conclure, nous sommes d’avis que cet enseignement paritaire est un atout formidable pour les enfants qui commencent l’apprentissage d’une langue étrangère à l’école dès l’âge de six ans. L’origine culturelle de l’enfant et les langues déjà présentes dans les foyers des familles ne sont pas des obstacles à cet apprentissage précoce, mais plutôt une ouverture qui les aide à « se plonger » dans une nouvelle langue. Les écoles frontalières devraient néanmoins renforcer de manière explicite l’aspect interculturel de cet enseignement particulier pour sensibiliser les enfants à cette approche le plus tôt possible. Et ceci devrait se faire de manière équitable en incluant les cultures étrangères présentes en classe à la culture française. L’avenir scolaire européen se doit de passer par la voie plurilingue en intégrant la culture du voisin (en région transfrontalière) et celles des élèves d’origines étrangères scolarisés dans nos écoles, surtout en Allemagne où le taux de naissance dans les familles germano-allemandes reste très faible. En prenant en compte toutes ces langues et cultures et en prenant aussi au sérieux les futurs adultes européens, nous contribuons à la formation des acteurs des sociétés multiculturelles de demain !

Notes
L’équivalent de l’école maternelle en Allemagne, en ce qui concerne l’âge des enfants (3-6 ans), mais pas la conception.
„Früh-Französisch“ im Kindergarten, quelques activités en langues française, approche ludique.
Les attitudes des enfants scolarisés à l’école primaire vis-à-vis de l’inconnu et des Etrangers sont encore très peu définies, mais plutôt influencées par le vécu individuel.
En se concentrant sur une autre culture, il y a comparaison de l’inattendu, du « typique » de la culture étrangère avec la culture maternelle, ce qui représente une opération cognitive généralisante qui mène à un enrichissement des expériences personnelles. Dans des propos comparant les cultures, aussi chez les enfants, l’utilisation du comparatif (« Les trains italiens sont plus sales que les trains allemands »), de la négation (« En Allemagne, il n’y a pas d’uniforme scolaire »), de la description ou de la généralisation d’éléments en particulier (« Les Italiens ont tous les cheveux noirs ») est frappante.
Qu’est-ce qui te passe par la tête quand tu penses aux gens qui vivent en France, aux Français ?
Est-ce que tu trouves qu’en France, certaines choses sont différentes qu’ici en Allemagne ?
Que moi aussi, je dois parler un peu le français.

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