Recension du livre « Enseigner le français aux migrants » de Nolwenn Gloaguen- Vernet, Hachette FLE, Collection F, 2009.
Face à une situation d’immigration en pleine évolution en France et en Europe, ce livre a le mérite de proposer à la fois une description de la situation contemporaine et d’apporter des propositions concrètes et pratiques aux formateurs. Après avoir dressé un tableau de la situation de l’enseignement du français pour migrants en France, l’auteure aborde dans la partie suivante les politiques linguistiques en France et en Europe ; dans une troisième partie, les approches politique et économique, psychologique et socioculturelle sont analysées ; la quatrième partie est centrée sur les objectifs pédagogiques et met en regard les méthodes autant que les outils et les diplômes. Enfin, la cinquième partie liste les différents facteurs qui contribuent à la réussite d’un parcours de formation pour un public migrant.
La première partie s’attache d’abord à définir qui est le public migrant : ses origines, son histoire en Europe, ses motifs. Elle présente ensuite les dispositifs mis en place en France pour scolariser les enfants de migrants, les politiques d’accueil des trente dernières années. Actuellement, les objectifs sont d’assurer l’intégration sociale, culturelle et professionnelle des migrants (classes d’initiation, classe d’accueil pour les scolaires). Pour les adultes, des dispositifs particuliers ont été mis en place comme le CAI (Contrat d’Accueil et d’Intégration). Des évolutions se dessinent au niveau de la formation, jusque là laissée aux associations ; les notions d’intégration et de citoyenneté sont mises en avant, il s’agit d’apprendre la langue du pays dans un contexte civique.
La deuxième partie a pour thème les politiques linguistiques et traite d’abord de la politique d’intégration en France. Depuis 2003, on constate une volonté politique pour construire des parcours d’intégration pour les nouveaux arrivants, encourager la promotion individuelle, sociale ou professionnelle et agir contre les intolérances pour la légalité des droits. Si l’accent est mis sur l’accueil dans un premier temps, l’objectif est l’intégration dans la République française. S’inspirant d’autres pays comme le Canada, la notion de contrat apparaît, elle implique des doits et des devoirs. Le contrat établit l’idée de partage entre le migrant et le pays d’accueil : au-delà des valeurs républicaines, la notion de contrat relève du domaine juridique ce qui peut induire un lien entre le séjour des étrangers et leur situation juridique et administrative. La langue et l’accès à l’emploi sont au cœur des réflexions actuelles, en France et en Europe, les questions liées aux migrations ont notamment pris une place grandissante dans les travaux du Conseil de l’Europe.
Il reste cependant de nombreux obstacles politiques, culturels, matériels ainsi que des résistances psychologiques qui constituent de véritables freins à la mise en œuvre de ces politiques. C’est l’objet de la troisième partie. On peut par exemple citer les problèmes liés à la terminologie : « étranger », « immigré », « réfugié », le choix des mots renvoie au problème de l’identité. Différence de statut, de droits, le migrant a du mal à trouver sa place dans la société et n’est pas toujours en mesure de juger de l’apport d’une formation en langue française. L’auteure constate aussi le manque de formation des formateurs pour adultes et la confusion entre alphabétisation, illettrisme, FLE, FLS… Egalement, le manque de moyens est un point négatif que ce soit pour les espaces de formation ou les programmes de formation.
La dimension psychologique et culturelle est à souligner dans le processus d’intégration : le temps d’adaptation, les changements culturels demandent du temps. De nombreux freins sont liés à l’identité et influencent la situation d’apprentissage et d’utilisation de la langue étrangère. Ainsi, le regard porté sur le migrant peut passer de positif à négatif entre la phase d’accueil et l’installation définitive, particulièrement lorsqu’il entre en compétition avec les travailleurs locaux. Mais le migrant se dévalorise aussi lui-même face à la langue car il ne peut exprimer réellement ses intentions ou montrer sa personnalité. De plus, le regard porté par le migrant sur la langue et culture d’accueil est empreinte de stéréotypes et de représentations, parfois loin de la réalité quotidienne. C’est donc le rôle des formateurs de sensibiliser les migrants à tous ces aspects. L’acquisition d’une langue étrangère met en jeu toute la personne et le migrant se trouve dans une situation où il doit en même temps, pour pouvoir communiquer, apprendre la langue et apprendre à communiquer.
A la suite de cela, l’auteure fait un certain nombre de propositions qui visent à améliorer le contexte de formation, on peut retenir notamment celles portant sur la recherche pour mieux connaître le public migrant ou pour évaluer la qualité des formations. Un autre aspect d’importance concerne l’insertion sociale et professionnelle des migrants, ce qui exige d’une part une véritable professionnalisation des acteurs de la formation et d’autre part de renforcer le réseau français (services sociaux, université, organismes de formation, municipalités, entreprises).
La quatrième partie est consacrée à la question de la détermination des objectifs pédagogiques : il s’agit d’abord de définir le cadre théorique et méthodologique, puis de présenter les outils pédagogiques ainsi que les référentiels et les diplômes. Le premier chapitre est proprement didactique, il passe en revue les approches pédagogiques et méthodes d’enseignement des langues étrangères telles qu’elles ont été développées en France jusqu’à aujourd’hui. Différents modes d’apprentissage sont présentés : les deux axes de référence sont l’autonomisation de l’apprenant et l’individualisation de l’apprentissage.
En ce qui concerne les outils à disposition des formateurs, l’auteure constate d’une part le manque de matériel pédagogique pour ce public spécifique. D’autre part, un chapitre met l’accent sur la constitution de centres de ressources et sur la diversité des ressources et des supports à disposition des formateurs (papier, audio, vidéo, informatique).
Le dernier chapitre a également une fonction pratique et pose la question de l’évaluation. Il reprend les deux référentiels utilisés en didactique des langues , le FAS CUEP et le CECRL rédigé par le Conseil de l’Europe ; les différents diplômes de français et tests de langue sont détaillés.
La cinquième partie a pour but d’aider le formateur à construire une formation pour un public migrant. Elle s’articule de façon très concrète autour de cinq axes : comment faire face à la diversité de langues, de cultures, de modes d’apprentissages, d’âges ; comment débuter la formation (entretien, questionnaire) ; les compétences orales et les objectifs sont ensuite détaillés, de même les compétences écrites et les objectifs ; le cinquième axe est construit autour de thématiques culturelles et interculturelles et plus largement de la dimension pragmatique de la langue (savoir-faire et savoir être).
L’ouvrage, concis et pratique, passe en revue à la fois les contextes d’intervention et les choix méthodologiques et pédagogiques. Il n’offre pas de solutions « clés en main », mais il permet aux formateurs d’élaborer les solutions adaptées au cas de chacun.
Virginie Viallon, déc.09